COMMENT SE PRÉPARER AUX RISQUES POLITICO-SECURITAIRES ?
Alors que la Côte d'Ivoire se prépare pour les élections présidentielles du 25 octobre, les inquiétudes concernant les tensions politiques, la désinformation et les troubles potentiels s'intensifient. Pour mieux comprendre la situation, nous avons rencontré Béatrix Renaut, Responsable Sûreté, qui s'est rendu en mission dans le pays, en juin dernier.
Dans cet épisode, elle revient sur le climat politique actuel, les principaux risques liés au scrutin et partage les conclusions de sa récente visite dans le pays avant les élections.
Un décryptage essentiel pour les organisations opérant en Côte d’Ivoire, à l’heure où la stabilité politique reste fragile et où l’anticipation devient un impératif stratégique.
Quel était l’objectif de votre déplacement en Côte d'Ivoire, en juin dernier ?
Oui, effectivement, je me suis rendue en Côte d’Ivoire début juin dans le cadre d’une mission d’évaluation pré-électorale visant à analyser l’environnement politique et sécuritaire, mettre à jour notre planification opérationnelle et échanger avec nos clients sur place.
J’ai rencontré différents acteurs, principalement les fonctions sûreté, RH et direction générale du côté de nos clients, des conseillers sûreté de diverses ambassades, ainsi que nos partenaires sûreté et logistique locaux.
Quel est le contexte de cette élection ?
Le 25 octobre, la Côte d’Ivoire organisera son élection présidentielle, au cours de laquelle le président sortant, Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011, briguera un quatrième mandat.
Bien que le pays soit relativement stable ces dernières années, il a par le passé connu de fortes tensions électorales. En 2010, une crise a éclaté lorsque le président sortant, Laurent Gbagbo, a refusé de céder le pouvoir. Cette crise a duré plus de quatre mois, causé 3000 morts, et s’est achevée avec l’arrestation de Gbagbo à Abidjan.
Plus récemment, en 2020, des troubles ont éclaté lorsque Ouattara a été réélu pour un troisième mandat controversé, après l’adoption d’un amendement constitutionnel réinitialisant la limite de mandats.
Ce passé, combiné à l’exclusion de quatre figures importantes de l’opposition des listes électorales, alimente les tensions à l’approche d’octobre.
Globalement, quel est le sentiment sur place à l’approche de l’élection ?
En ce qui concerne l’atmosphère générale, j’ai perçu une inquiétude palpable tant chez les Ivoiriens que parmi la communauté expatriée à l’approche de l’élection, un sujet qui semble être sur toutes les lèvres.
Alors que Ouattara a officialisé sa candidature le 29 juillet après un long silence, opposition et société civile guettent une ouverture au dialogue, alors que l’opposition, qui est très fragmentée, tente de s’organiser en alliances.
Aussi, il y a une préoccupation majeure au sujet de la désinformation dans le contexte de cette élection, qui est considérée comme l’un des principaux risques de déstabilisation. Les campagnes de désinformation prolifèrent rapidement sur les réseaux sociaux, et attisent les tensions. De fausses informations – comme des rumeurs de décès du Président, de tentative de coup d’État ou d’intervention militaire étrangère – ont circulé activement. La période électorale est perçue comme une fenêtre stratégique pour des ingérences étrangères plus profondes.
Quelles sont les principales controverses et préoccupations qui émergent ?
En effet, des controverses sont là, notamment autour du caractère constitutionnel et démocratique de l’élection. D’importantes figures de l’opposition – dont l’ancien président Gbagbo, l’ex-PDG de Crédit Suisse Tidjane Thiam, l’ancien Premier ministre Guillaume Soro, et l’ancien ministre Charles Blé Goudé – ont été exclues des listes électorales.
Certains en raison de condamnations pénales, d’autres, comme Thiam, pour avoir détenu la nationalité française au moment de l’inscription au fichier électoral. Autant de conditions qui les rendent inéligibles à la présidence selon la Constitution ivoirienne.
Les intéressés ont tenté de contester cette exclusion devant la justice, sans succès. Les partis et soutiens de l’opposition organisent des manifestations contre un quatrième mandat et pour la réintégration de figures clés de l’opposition, qui sont pour l’heure restées pacifiques.
Bien qu’ils aient été rendus inéligibles, ces opposants radiés continuent de considérer qu'ils vont se présenter à l'élection.
On craint également une influence étrangère comme je l’évoquais, notamment via des campagnes de désinformation aux discours incitant à la violence, promouvant un sentiment anti-occidental et de désillusion à l’égard de institutions démocratiques. On a vu une vague de rumeurs de coup d’État ayant circulé en ligne mi-mai. Cela illustre les efforts de manipulation de l’opinion publique, susceptibles d’aggraver les tensions. À ce sujet, notre analyste Côte d’Ivoire a rédigé un rapport détaillé sur l’influence de la désinformation russe dans le contexte de l’élection présidentielle.
À ce stade, quel est le scénario le plus probable selon les analyses ?
Nous pensons que Ouattara est en position forte pour remporter l’élection, compte tenu des barrières légales empêchant d’autres candidats populaires de se présenter, et de son influence sur des institutions clés comme le Conseil constitutionnel, la Commission Electorale Indépendante (CEI) et le système judiciaire. De plus, la croissance macroéconomique de ces dernières années contribue à sa popularité, même si des problèmes persistants comme le chômage, la répartition inégale des fruits de la croissance, les clivages communautaires demeurent.
Compte tenu de son âge (83 ans) et de préoccupations liées à sa santé, une crainte grandissante existe quant à la possibilité qu’il décède avant l’élection ou après sa réélection. Un tel scénario pourrait entraîner une instabilité politique conséquente.
L’incertitude plane quant à sa succession en cas de décès. Bien que le vice-président soit constitutionnellement désigné pour lui succéder, aucun héritier politique clair n’a été identifié, laissant planer le risque d’un vide de pouvoir.
Quelles sont les principales mesures que les managers ayant du personnel en Côte d’Ivoire devraient mettre en place avant l’élection ?
Les managers en Côte d’Ivoire devraient :
- Anticiper différents scénarios et leurs impacts sur les personnes, les biens et les opérations pour protéger efficacement le personnel et assurer la continuité des activités. Cela implique aussi avoir à l’esprit les dates clés du processus électoral.
- Déterminer les besoins en personnel essentiel et non essentiel, et garder une trace précise de la localisation, des coordonnées de tous les employés (ce que l’on appelle un POB ou manifeste).
- Revoir la capacité à mettre en œuvre des mesures de sécurité renforcées en cas de détérioration rapide de l'environnement de sécurité (bureaux, logements, horaires de travail, télétravail).
- Établir des moyens fiables de communication avec les équipes pour diffuser des informations à jour et fiables, et s’assurer que le personnel sait qui contacter en cas d’urgence.
- S’assurer que le personnel est équipé d’eau et de vivres non périssables pour tenir une posture de confinement pendant 72 heures.
- Revoir et tester les plans d’évacuation (facteurs déclencheurs, lieux de rassemblement, points de sortie du territoire).
- Organiser des sessions de sensibilisation sur le contexte électoral et les risques associés.
- Suivre l’évolution politique et sécuritaire via des sources fiables (locales, internationales, réseaux diplomatiques).
- Suivre nos alertes sécuritaires International SOS pour des conseils actualisés à l’approche de l’élection.
Quelles sont les recommandations que nous sommes susceptibles d’émettre le Jour J et dans les jours qui suivront ?
Vraisemblablement, nous recommanderons, par mesure de sûreté preventive, de minimiser les déplacements. En tout état de cause, il conviendra d’éviter tous rassemblements, de quelque nature qu’ils soient, et d’éviter les lieux sensibles (CEI, QG partis, lieux de manifestation habituels) et de faire preuve d’une vigilance renforcée en amont, le jour du scrutin, les jours qui suivent le vote et l’annonce des résultats.
Il faudra s’attendre à une présence sécuritaire renforcée en amont, le jour du scrutin et dans les jours suivant l’annonce des résultats, en particulier en milieu urbain.
La Commission Electorale Indépendante (CEI), devrait annoncer sous deux à trois jours les résultats, qui doivent ensuite être validés par le Conseil Constitutionnel sous huit à dix jours. Si jamais il devait y avoir un second tour, ce qui ne semble pas probable, celui-ci aurait lieu le 29 novembre.